Co-construire les politiques publiques locales : une cause d’intérêt national

Le début d’un nouveau mandat est l’occasion pour les décideurs publics d’introduire des pratiques plus vertueuses. A l’aube des Municipales, Démocratie Ouverte revient sur l’importance de mettre la collaboration au cœur la fabrique des politiques publiques.

Infrastructures non utilisées, non-recours aux aides sociales, dispositifs publics morts-nés dans l’anonymat… Nous avons tous en tête des exemples de politiques publiques qui ne délivrent pas les fruits attendus car inadaptées, inaccessibles ou inaudibles. Alors que les normes se multiplient et l’action publique se complexifie, il est tentant pour les élus et les responsables des administrations de décider seuls. S’accentuent alors les risques de défaut de conception, de contestations et de dépassement budgétaire pour mauvaise anticipation des conditions de mise en œuvre. En outre, les récents mouvements sociaux nous ont rappelé que la conduite des politiques publiques ne peut plus se résumer à un processus opaque et surplombant, ni être le simple fait du “prince” ou de la technocratie.

A l’aube des élections municipales, nous invitons les candidats à repenser la fabrique des politiques publiques pour les rendre plus efficaces, plus légitimes et rebâtir la confiance des citoyens envers les institutions démocratiques.

Pour répondre à ce triple enjeu, mettre la collaboration au cœur de la conception des politiques publiques apparaît comme une nécessité. Au niveau local, co-construire les politiques publiques avec les agents, les habitants et les acteurs du territoire permet non seulement de créer des services publics plus agréables, faciles à utiliser, respectueux des personnes et de l’environnement, mais aussi de faire de l’action publique un commun, conçu de manière partagée et transparente. Le citoyen n’est plus seulement un usager « consommateur » de services, il contribue à élaborer la chose publique. Légitimité, ouverture, proximité et efficacité des services publics : ces facteurs nourrissent à terme la confiance envers les institutions et l’envie de croire en la puissance publique. Un puissant levier de refaire vivre la démocratie en montrant ce qu’elle apporte concrètement au quotidien.

Pour repenser la conception des politiques publiques, il faut commencer par déconstruire trois mythes dont elles souffrent. Le premier s’attache à les considérer comme des dispositifs désincarnés, et non comme des constructions sociales vivantes. Elles s’adressent pourtant à des habitants, qui ont une histoire et un mode de vie, à travers l’action d’agents qui les portent, font vivre des espaces physiques (guichets, équipements publics…) et créent des outils dédiés (site internet, formulaires, dépliants explicatifs…). Le deuxième mythe consiste à croire que la conception s’arrête à partir du moment où l’on a eu “une bonne idée”. Au contraire, la conception doit être itérative tout au long du cycle de vie de la politique publique (identification d’un problème, émergence de solutions, prise de décision, mise en œuvre, suivi et évaluation). A chaque étape, il est possible d’y associer les habitants, les agents et les acteurs du territoire au niveau de participation pertinent. Enfin, le troisième mythe a le vent en poupe au sein de la technocratie : penser qu’il suffit d’expliquer pour avoir raison. D’une part, il est peu probable de trouver seul une solution 100% adaptée aux besoins des habitants sans avoir pris finement connaissance de leur expérience vécue. D’autre part, le consentement des citoyens à une décision ne se décrète pas : il repose sur le fait que son fondement et le processus par lequel elle a été prise sont considérés comme justes et légitimes. Une décision prise à huis clos aura donc tendance à être perçue comme moins légitime que celle construite avec les habitants.

Retourner sur le terrain pour observer les usages

Comment introduire plus de collaboration dans la conception des politiques publiques ? Il n’est pas nécessaire d’avoir le budget d’une grande métropole pour commencer. Par exemple, dresser systématiquement un diagnostic partagé des sujets à traiter, avec l’ensemble des habitants et des acteurs du territoire, avant d’imaginer les solutions permet de confronter ses hypothèses avec la réalité. Ce temps de partage favorise non seulement de meilleures décisions, mais aussi un regard plus humain porté sur l’autre. 

La collaboration repose avant tout sur de nouvelles pratiques de la part des élus et des services administratifs, comme le détaille Nadège Guiraud dans ce regard d’expert. Les décideurs sont invités à retourner sur le terrain pour se mettre à la place des habitants-usagers (s’astreindre à remplir les formulaires, aller dans les lieux d’accueil du public…) et comprendre leur expérience des services publics. Garde aux questionnaires de satisfaction truffés de questions fermées qui biaisent les retours. Aller vers les usagers, ce n’est pas simplement leur demander leur avis : c’est chercher à comprendre leur habitudes de vie et leurs besoins (parfois contradictoires).

Co-concevoir une politique publique appelle donc de nouvelles compétences : les sciences sociales, mais aussi le design, l’architecture participative et parfois l’art. Pour que de la collaboration puissent éclore des solutions pertinentes, il faut également apprendre à créer les conditions de la créativité et l’intelligence collective. Cela suppose de faire confiance aux expertises et aux capacités d’inventivité des agents et des citoyens.

Enfin, la collaboration nécessite d’assumer une démarche émergente, qui implique de tâtonner, de se donner le droit à l’expérimentation et potentiellement à l’erreur. Par exemple, commencer par un projet ni trop exposé, ni controversé, dont les réalisations pourront être vues rapidement et sur lequel les élus disposent de réelles marges de manoeuvre. Pour se permettre de lâcher-prise, il est utile de trouver le juste équilibre entre mobilisation, humilité et discrétion en matière de communication. Cela ne signifie pas être dans le secret : plus la démarche sera documentée au fil de l’eau, plus les éventuels détours dans la conduite du projet seront compris par les agents, les habitants et les acteurs du territoire, car ils résulteront d’une démarche partagée.

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