Faire de l’intercommunalité un espace de (réelle) coopération ouvert aux citoyens
Les élus et les agents communaux sont nombreux à vivre l’élargissement des compétences intercommunales comme un changement radical de leur rôle au niveau local. Comment expliquer aux habitants, quand on est maire, que l’on n’a quasiment plus de pouvoir sur sa ville ?
Les élus et les agents communaux sont nombreux à vivre l’élargissement des compétences intercommunales comme un changement radical de leur rôle au niveau local. Comment expliquer aux habitants, quand on est maire, que l’on n’a quasiment plus de pouvoir sur sa ville ?
Développés dans les années 2000 et renforcés par la loi NOTRe, les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) demeurent un échelon méconnu des citoyens. Si l’intention de départ était de redessiner des territoires mieux adaptés aux nouvelles façons d’habiter et de se déplacer, les EPCI sont restés un outil de mutualisation des moyens, sans fondation démocratique. Pourtant, ces technostructures assument de plus en plus un rôle politique, ce qui engendre un déficit démocratique à la fois pour les habitants et les élus communaux.
Ouvrir la gouvernance des intercommunalités aux citoyens
Pour pallier cette anomalie démocratique, les intercommunalités doivent s’ouvrir aux citoyens. Cela commence par une meilleure information sur le rôle et les décisions des EPCI, par exemple via la retransmission en direct des délibérations, l’intégration d’une rubrique “Interco” dans les bulletins municipaux ou la tenue de réunions publiques. Mais ce n’est qu’une première étape : à l’heure où deux tiers des Français franchissent chaque jour les limites géographiques de leur commune pour travailler, faire leur courses et se divertir, l’échelle intercommunale s’avère de plus en plus pertinente pour organiser la participation citoyenne. Nantes, Rennes, Lille, Grenoble… De nombreuses métropoles l’ont bien compris. Le “projet de territoire” intercommunal peut être un bel objet pour initier une démarche de coconstruction citoyenne, comme l’a récemment expérimenté Grand Annecy.
La restitution des travaux de l’observatoire citoyen a eu lieu en séance publique
devant le Conseil d’Agglomération (mars 2019). Rapport de l’Observatoire citoyen.
Enfin, se pose la question de l’élection au suffrage universel direct des élus intercommunaux. Depuis 2014, le scrutin n’est en réalité déjà plus indirect : les électeurs votent simultanément pour leurs représentants municipaux et intercommunaux, ces derniers se situant en début de liste. Malgré tout, la distribution du pouvoir politique intercommunal reste sous contrôle des élus communaux. Un scrutin universel direct autonome pour les élus intercommunaux, découplé du scrutin municipal, renforcerait donc la légitimité démocratique et la redevabilité des élus intercommunaux devant les citoyens. Bénéficiant d’un statut spécifique d’exception, la Métropole du Grand Lyon va en faire le test les 15 et 22 mars prochains. Découpler l’élection intercommunale de l’élection municipal accentuerait cependant la perte de pouvoir politique des élus municipaux, et nécessiterait de repenser leur rôle.
Associer les élus municipaux à la conception des politiques communautaires
Que cette évolution institutionnelle ait lieu ou pas, il est essentiel de redéfinir l’articulation entre les élus intercommunaux et les élus communaux dès aujourd’hui. Ces derniers ont en effet le sentiment d’être dépossédés de leur pouvoir décisionnel sur les sujets locaux en raison du transfert croissant de compétences vers l’intercommunalité, ce qui est parfois appelé “syndrome de Bruxelles”. Ce sentiment de dépossession touche particulièrement particulièrement les élus municipaux ayant peu de poids au sein du Conseil communautaire (car issus de l’opposition ou de communes peu représentées) ou n’en faisant pas partie : n’étant plus associés aux décisions qui relevaient auparavant de leurs prérogatives, il n’est pas rare que ceux-ci adoptent une posture de réaction, de méfiance voire d’opposition systématique vis-à-vis des décisions intercommunales. Le sentiment d’impuissance des élus municipaux est d’autant plus important que cette perte de souveraineté vient s’ajouter à la baisse des dotations, à la multiplication des normes et à l’insatisfaction des administrés ayant de plus en plus un comportement de consommateurs de services publics.
Pour lutter contre cette perte de sens, il est urgent d’associer davantage les élus municipaux à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques communautaires en valorisant leur connaissance du terrain, des habitants et des acteurs locaux. L’exemple de la Communauté d’agglomération du Pays Basque, qui a dû trouver des solutions pour gérer sa taille XXL (158 communes, 233 élus), mérite qu’on s’y attarde : dix Pôles territoriaux, réunissant des élus municipaux, ont été créés pour assurer la gestion de proximité des politiques communautaires et de mieux identifier les besoins des administrés.
Promulgation au Journal Officiel de la loi Engagement et Proximité le 27/12/2019
Refaire de l’intercommunalité un espace de coopération inter-territoriale
Mais c’est également plus en profondeur qu’il faut revoir le fonctionnement de l’intercommunalité, pour en refaire un espace de coopération inter-territoriale et redonner tout son sens au mot qui, on l’oublierait presque, trône fière au milieu de l’acronyme “EPCI”. Pour équilibrer le pouvoir entre élus et entre communes, le Conseil communautaire doit se doter de processus de délibération clairs, transparents, capables de partager le pouvoir de manière équilibrée entre les communes, sans exacerber la confrontation des intérêts municipaux. Pour cela, il est souhaitable de formaliser les règles collectives dans une charte de gouvernance. Créer de la coopération nécessite de reconnaître les désaccords, faire dialoguer les points de vue de manière constructive et aboutir à des décisions satisfaisant pour tous, en sortant de la soumission au consensus obligatoire. La charte de gouvernance du Grand Reims donne par exemple aux maires un droit de veto sur les décisions concernant leur territoire. Il est également possible d’élire un Bureau collégial, à l’instar du Grand Nancy, ou de nommer des Vice-présidents territoriaux et de former les élus aux techniques d’écoute active et de facilitation.
Ouvrir la gouvernance de l’intercommunalité aux citoyens et aux élus communaux tout en renforçant la coopération inter-territoriale : le “Pacte de gouvernance” instauré par la loi Engagement et Proximité représente une opportunité pour répondre à ces défis dès le début du prochain mandat, comme l’explique Manon Loisel dans son billet d’expert.
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