La participation citoyenne au risque de son « apolitisme » – Guillaume GOURGUES
Dans le cadre des Municipales de 2020, Démocratie Ouverte publie des regards d’experts sur les bonnes pratiques et méthodes de démocratie ouverte locale, à destination des futurs maires. Cette semaine : Guillaume GOURGUES, Maitre de conférences en science politique à l’Université Lyon 2, chercheur au laboratoire TRIANGLE
A l’approche des élections municipales de 2020, les professions de foi des listes de toutes obédiences partisanes ont réactivé la machine à promettre « plus de participation ». Drôle de paradoxe que cette vie politique municipale qu’on vante régulièrement comme l’espace premier de la démocratie et qu’on aurait encore et toujours besoin de « démocratiser ». Du budget participatif aux conseils consultatifs de toute nature en passant par les « civic tech », les dispositifs participatifs semblent pourtant s’accumuler, se réinventer à chaque élection, sans qu’on ne comprenne très bien à quoi ils servent ou sont censés servir.
Le « fait participatif » municipal, en France, semble ainsi marqué par un phénomène transversal qui expliquerait ce sentiment d’éternel recommencement : le recours aux dispositifs participatifs est largement dépourvu de projet politique clair. Ce recours s’apparente alors à l’activation creuse d’une sorte de figure imposée de la gestion publique locale, peu investie au final par les élus qui en font pourtant un argument de campagne. Cet apolitisme participatif rencontre alors deux écueils antagonistes : le fétichisme ou le laxisme procédural.
La première forme de recours dépolitisé à la participation s’apparente à une focalisation sur la forme même de celle-ci. Les élus, les conseillers de cabinets, les agents administratifs sont alors davantage intéressés par la procédure elle-même que par sa portée effective ou ses difficultés probables. Caractérisant certains territoires plus que d’autres, et notamment les grandes villes, cet attrait pour l’innovation démocratique en elle-même est alimenté par la constitution d’un marché, réunissant professionnels du participatif et petits cercles d’initiés, qui entretient l’offre de participation plus que la demande (citoyenne). Les autorités locales peuvent alors se doter d’un dispositif participatif labellisé, qui pourra être comparé à d’autres et enrichir la réputation de ses commanditaires, tout en constatant que son influence sur les décisions publiques locales sont faibles et qu’une large partie des habitant.e.s n’y prête aucune attention.
La deuxième forme de recours dépolitisé se présente, à l’inverse, comme un dilettantisme procédural. En effet, au-delà des expériences participatives et délibératives les plus observées, n’oublions pas que la participation reste largement structurée par des pratiques a minima, bricolées ou clairement désinvesties d’un point de vue procédural. Gardant l’esprit, mais oubliant la lettre, les autorités locales font de la participation un « jeu sans enjeu » : des réunions publiques figées (souvent imposées par la loi), des votes peu contrôlés, des débats publics sans débat… Les procédures mises en place sont alors plus proches de l’organisation de centres aérés pour adultes qu’à l’organisation d’un débat contradictoire sur les décisions structurelles des conseils municipaux ou des intercommunalités. Ce sous-investissement procédural peut s’expliquer par la manière dont nombre d’élus se figurent la participation citoyenne : un vivier potentiel de « bonnes idées », parmi lesquels on pourra toujours piocher des propositions qui collent avec ce qui était prévu.
Face à ces deux déclinaisons d’une même dépolitisation, la participation publique doit chercher à sortir d’une impasse : celle des dispositifs descendants sous contrôle et sous conditions, pensées et pratiquées comme une offre. La campagne des élections municipales sera également l’occasion de voir émerger des reformulations du projet politique de la participation citoyenne : la mise en place de mécanismes d’interpellation citoyenne, le soutien aux contre-pouvoirs locaux, la démocratisation radicale des institutions existantes (et notamment intercommunales !) sont autant de pistes déjà explorées qui peuvent redonner du souffle aux ambitions d’une démocratisation de l’espace politique municipal.
article synthètique, pertinent. L’analyse des professions de foi pour les municipales montre la nécessité de formations et resssources sur l’objet de cet article.