Maîtriser l’art de la réunion publique, au cœur de la concertation
Symbole à double tranchant, la réunion publique incarne à la fois l’exercice démocratique dans sa forme la plus simple – donc peut-être la plus pure – et la plus difficile. Parfois associée à d’interminables discussions stériles, elle peut susciter de la lassitude chez les élus comme chez les participants.
Les réunions publiques sont pourtant centrales dans l’ossature des concertations publiques qui se sont multipliées ces trente dernières années. Pour organiser une concertation autour des grands sujets d’aménagement, les élus ou les citoyens peuvent saisir la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), une autorité administrative indépendante créée en 1995 (1). En dehors de ce domaine, les collectivités locales sont autonomes dans la gestion des concertations qu’elles souhaitent mettre en place. L’art du débat public est donc une nouvelle compétence qu’il est de plus en plus utile à avoir dans son portefeuille, et envers laquelle les citoyens sont de plus en plus exigeants, comme le rappelle Judith Ferrando, co-directrice de Missions Publiques. Comment créer les conditions d’un échange serein, utile et constructif ?
Un processus de construction collective
En tant qu’outil de concertation, l’objectif d’une réunion publique est d’écouter les points de vue et les besoins des habitants et des acteurs du territoire sur un projet proposé pour l’adapter, voire le redéfinir collectivement, dans une dynamique de coopération. La concertation permet de confronter les intérêts divergents pour mieux les articuler et trouver des rapprochements possibles.
Il est important de concevoir la réunion publique comme faisant partie d’un processus de construction plus large. En amont, la diffusion de l’ensemble des informations et de la retranscription des échanges passés permettra aux citoyens de contribuer de manière éclairée. En aval, la construction peut être poursuivie en associant les participants au sein de comités de suivi, ce qui assure également une plus grande transparence dans la manière dont leurs contributions sont traitées. Les grandes étapes du processus sont annoncées au départ, mais elles doivent pouvoir s’adapter aux apports des participants, au fur et à mesure des discussions. Car, contrairement à une consultation, la concertation ne s’arrête pas à un recueil de points de vue ou de suggestions : elle suppose de les intégrer au projet initial.
Utiliser la concertation comme un outil de communication pour mieux faire accepter un projet déjà entièrement ficelé peut être contre-productif pour la démocratie, car cette approche justifie la critique “participer, c’est accepter” et nourrit la tendance généralisée à la méfiance.
Comment créer les conditions d’une réunion publique constructive ?
La CNDP a établi trois règles qu’il est bon d’appliquer à tout débat : la transparence, l’argumentation des échanges et l’équivalence de traitement des contributions. Ces principes ont vocation à s’incarner dans chaque phase du débat public, qu’il soit en ligne ou hors ligne : la préparation, l’animation et le suivi. Dans le cadre d’une réunion publique, quelques astuces peuvent permettre de les appliquer de manière simple.
L’ouverture de la discussion commence par un rappel des règles du jeu : quel est l’objectif de la réunion, les contraintes et le périmètre de débat, le calendrier ? Construire dès le début l’équité entre les participants est également important : un tour des prénoms permet à chacun à prendre la parole et de donner de l’allant aux plus timides. Enfin, établir le cadre de valeurs dans lequel les échanges auront lieu – le respect mutuel, l’écoute, la coopération… – donne la possibilité à tous de les invoquer par la suite pour éviter les débordements.
Pour introduire la multiplicité des points de vue autour d’une question dès le début d’une réunion, la méthode des six chapeaux de Bono est intéressante. Les participants s’expriment tour à tour sur un mode de pensée différent (factuel, optimiste, critique, émotionnel, créatif et synthétique), ce qui permet de distinguer les différentes phases de l’échange : celles où ils donnent leur avis, celles où ils apportent leurs idées et celles où ils partagent leurs émotions. A cet égard, les techniques de communication non violente peuvent être utilisées pour décrypter les émotions : bien souvent, elles sont la marque de besoins ou d’arguments qui ont du mal à s’exprimer autrement.
Le choix du lieu et de la méthode d’animation influenceront la qualité et la nature des discussions : la configuration de la salle peut favoriser l’affrontement ou la coordination, le renforcement des positions individuelles ou la délibération collective. Les dispositions de salle en cercle et les ateliers de production en sous-groupe sont des pratiques facilitant l’intelligence collective. Le rôle de “facilitateur” est essentiel : contrairement à l’animateur qui se place au centre des discussions, jusqu’à parfois y imprimer sa marque (ou ses préjugés) le facilitateur n’est là que pour mettre de l’huile dans les conversations. Idéalement, il s’efface petit à petit, une fois la dynamique des discussions enclenchées. Ainsi, sa neutralité ne peut être mise en cause. Des techniques issues de l’éducation populaire peuvent également aider à fluidifier le débat. Pour sonder rapidement l’ensemble des participants sur une question, il est possible de leur demander de s’exprimer à l’aide de cartes de couleurs (par exemple : vert pour “plutôt oui”, rouge pour “plutôt non”). Le débat mouvant peut quand à lui permettre de mieux comprendre les tensions autour de questions clivantes. Les temps de discussions informels, ou de détente, sont par ailleurs importants pour construire du lien et de la confiance entres les différents participants.
Réunions publiques et plateformes numériques : des outils complémentaires
« Le débat public, c’est avec le public, et en public », nous rappelle la CNDP. Les réunions donnent vie aux échanges et rendent possible la confrontation directe. Elles rencontrent cependant des limites quand il s’agit de concerter très largement, notamment les personnes disposant de peu de temps ou ne pouvant se déplacer.
Outils complémentaires, les plateformes numériques permettent de massifier la participation et de recueillir une plus grande variété de contributions, qui – sans forcément se prévaloir d’une plus grande représentativité – enrichissent la discussion. Car, comme le souligne la CNDP, “c’est le poids et la force des arguments qui construisent peu à peu un dialogue collectif. Le nombre de personnes exprimant une même opinion importe peu”. Il est essentiel de prendre en compte tous les apports, peu importe la qualité de leurs formulations. La concertation n’a pas pour objectif de confirmer les lieux communs, mais de tenir compte de l’ensemble des connaissances et points de vue sur le projet débattu.
De la même manière que pour les réunions publiques, les plateformes de concertation doivent être simples d’utilisation (y compris pour des personnes moins à l’aise avec le monde de l’informatique) et transparentes. Tout comme le choix d’animation, le choix de la plateforme influencera le résultat : certaines favorisent plutôt l’agrégation d’opinions, d’autres le dialogue argumenté. Enfin, la modération se fera de préférence a posteriori, et de façon argumentée afin que les contributeurs ne puissent se sentir “censurés” dans l’opacité.
Notes :
(1) Obligatoires pour les projets d’aménagement dont le budget excède de 300 millions d’euros, les concertations sont facultatives pour les projets entre 150 et 300 millions d’euros (routes, lignes ferroviaires et électriques, équipements industriels et énergétiques, aéroports…).
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