Ouvrir les données publiques, ce n’est pas qu’une affaire de geeks
Dès 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme consacrait le droit d’accès aux données publiques : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (article XV).
Dans la lignée de la loi CADA de 1978, la loi République Numérique de 2016 oblige désormais les collectivités de plus de 3500 habitants et 50 agents à publier les informations publiques par principe, sans attendre que la demande en soit faite, de façon gratuite, accessible, ouverte et permettant la réutilisation des données (1). Cette obligation ne concerne ni les informations personnelles, ni celles touchant à la sécurité nationale, ni celles couvertes par les différents secrets légaux.
Pourtant, en octobre 2019, seules 10% des collectivités concernées avaient engagé une démarche en ce sens (2). Nombre d’élus s’estiment démunis devant une problématique qui leur paraît surtout relever du service informatique. En quoi l’ouverture des données est-elle éminemment stratégique pour les collectivités ? Quels sont les principes à connaître avant de se lancer, et comment publier efficacement des données qui renforceront l’attractivité du territoire ?
Pourquoi est-ce important?
Pour les institutions publiques, l’ouverture des données est un impératif pour augmenter la transparence, tant par redevabilité vis-à-vis du citoyen que par souci de rendre l’action publique plus compréhensible et plus accessible. En retour, les citoyens peuvent mieux appréhender les sujets complexes en disposant d’informations complètes et transparentes. La qualité du dialogue citoyen s’en trouve ainsi renforcée.
La deuxième raison est qu’un meilleur partage des données crée de la valeur pour le territoire. Les plateformes ouvertes offrent la possibilité acteurs du territoire de faire remonter leurs besoins d’informations, voire de publier de nouveaux jeux de données (source de valeur contributive). L’ouverture des données permet alors de partager la connaissance du territoire, dans une logique de création de biens communs.
Le partage multi-acteurs des données favorise aussi l’innovation. Des acteurs privés et associatifs peuvent utiliser ces jeux de données pour développer des services, notamment des applications mobiles, en lien avec la mobilité, le tourisme ou encore la gestion des déchets (source de valeur économique). Par exemple, à l’occasion du challenge Datacity, la Ville de Paris a réuni des agents, des entreprises et des start-ups pour faire émerger des projets innovants qui apportent des solutions concrètes à la collectivité (comme l’adaptation de l’éclairage public en fonction de la circulation)(3).
Quelles sont les données intéressantes à publier ?
Prioriser les données qui vont être utiles pour le territoire : son attractivité, ses habitants ou les entreprises et associations qui y résident.
Prenons l’enjeu de l’éco-mobilité. Pour un territoire voulant développer la mobilité verte, il peut être pertinent de partager les horaires de passage des bus, le tracé des pistes cyclables (comme sur la carte Openstreetmap de la ville de Lannion, grâce à une contribution de l’association Trégor Bicyclette(4)) ou encore les taux de ponctualité des lignes de TER (comme sur la plateforme de la région Centre Val-de-Loire(5)).
Sur le plan démocratique, les compte-rendus des séances et les délibérations sont utiles pour suivre l’activité des élus. Les montants des indemnités perçues par chaque membre du conseil municipal, la rémunération des collaborateurs de cabinet, la liste des bénéficiaires de logements de fonction encouragent le contrôle citoyen.
Une fois la stratégie déterminée, comment procéder ?
Une “bonne” ouverture des données répond à des principes précis concernant la nature des données publiées, les conditions d’accès et leur format(6).
Des données publiques ouvertes sont d’abord de nature complète (toutes les données publiques sont susceptibles d’intéresser les différents acteurs, dans les limites édictées par la loi), primaire (collectées à la source, non agrégées et non modifiées) et sont libres de droits. Leur accès est public (donc ouvert à un large spectre d’acteurs et d’usages), gratuit et sans discrimination. En particulier, il ne peut être demandé d’inscription préalable pour y accéder. Enfin, elles sont publiées sous format exploitable par l’utilisateur et non propriétaire (aucune entrave légale ne s’oppose à sa libre utilisation, par opposition aux formats détenus par des entités privées comme Microsoft).
Ouvrir ses données ne se limite pas à un exercice informatique : c’est aussi l’opportunité de lancer une démarche transversale de collaboration entre élus, agents et utilisateurs (qui peuvent faire part de leurs retours pour améliorer la plateforme par exemple). Ce meilleur partage de l’information améliore à terme l’efficacité de l’action de la collectivité. Celle-ci peut d’ailleurs nouer des partenariats avec d’autres collectivités (Métropole, Département, Région) pour élaborer des jeux de données complets et mutualiser l’information. Par exemple, 52 acteurs territoriaux se sont regroupés pour la plateforme régionale Data Sud (7).
Le plus grand défi consiste sans doute à penser la démarche dans la durée et “en dehors du bureau” : maintenir les bases de données à jour est essentiel, tout comme former les agents (et les citoyens !) aux enjeux de la donnée et communiquer vers les acteurs du territoire (autres collectivités, syndicats, entreprises, associations, citoyens) pour favoriser au maximum leur réutilisation(8).
Conclusion
Chaque stratégie d’ouverture des données est spécifique au contexte, à l’ambition politique du projet et aux moyens humains et financiers disponibles. L’obligation réglementaire vient cependant renforcer les enjeux majeurs liés à la publication des données, comme le rappelle ici Jean-Marie Bourgogne, délégué général d’Open Data France : à l’heure où les géants du numérique font un usage mercantile croissant des données, les collectivités et l’Etat doivent prendre les devants pour élaborer des stratégies audacieuses de partage en bien commun des données publiques, au service de l’intérêt général.
Sources :
(1) Voir : https://www.economie.gouv.fr/republique-numerique
(2) Selon l’observatoire opendata des territoires, http://www.observatoire-opendata.fr/
(3) https://www.paris.fr/pages/datacity-2019-decouvrez-les-startups-qui-font-la-ville-de-demain-6511/
(5) https://data.centrevaldeloire.fr/pages/ponctualite-ter-exintercites/
(6) Voir les huit principes de l’open data : https://public.resource.org/8_principles.html
(7) Observatoire Open Data des Territoires, Open Data France en collaboration avec La Banque des Territoires et Etalab, 2019
(8) Voir Les 10 Commandements de l’ouverture des données publiques, produits pour OpenData France
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