25/4/2023
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Démocratie
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Faut-il stopper les lobbies ?

Une dynamique renouvelée, c’est d’abord requestionner les pratiques. Alors que la défiance citoyenne vis-à-vis des politiques atteint des sommets inégalés, les lobbies ne peuvent plus éluder leur part de responsabilité dans la crise : il faut répondre au sentiment d’une connivence néfaste entre les sphères publiques et privées.

“Le lobbying contribue à alimenter le dialogue entre la société civile et les décideurs”

Il y a, derrière ce mot, beaucoup de fantasmes. Car, dans une société démocratique, toute personne physique ou morale doit pouvoir se défendre si ses intérêts sont attaqués, ou suggérer des améliorations législatives et réglementaires en dehors des périodes électorales. Et, du côté des pouvoirs publics, que dirait-on d’une tentation à légiférer hors sol, sans consulter les parties directement concernées par l’application de la loi ? En réalité, le lobbying contribue à alimenter le dialogue entre la société civile et les décideurs ; ce faisant, il accroît la légitimité et l’efficacité de l’action publique. C’est vrai au niveau des objectifs poursuivis : l’intérêt général émane d’une confrontation des points de vue et non d’une vérité unilatéralement professée. C’est également vrai au niveau des modalités d’application : un texte dont l’application a été anticipée peut gagner en précision et en clarté, il est alors opérant.

“Il est urgent non pas de stopper les lobbies, mais de les encourager dans une dynamique renouvelée”

Ce constat est d’autant plus vrai que nous vivons une période charnière de prise de conscience, par les entreprises, de leur responsabilité politique. Avec la crise du Covid, elles sont en première ligne pour redéfinir le travail. Avec la crise climatique, elles doivent rendre des comptes sur leur empreinte carbone. Avec la crise ukrainienne, elles doivent parfois renoncer à leur présence en Russie. Bref, en même temps que les institutions étatiques s’affaiblissent, et sous de nouvelles pressions externes (reporting extra-financier, investissements durables, avènement du consommateur citoyen), les entreprises se pensent plus souvent comme une partie d’un tout qui les dépasse, la cité, ancrent davantage leurs convictions et s’engagent de plus en plus. Ce mouvement devrait logiquement les conduire à prendre une place plus grande et plus transparente dans le débat public. C’est dire l’urgence non pas à stopper les lobbies, mais à les encourager dans une dynamique renouvelée.

Une dynamique renouvelée, c’est d’abord requestionner les pratiques. Alors que la défiance citoyenne vis-à-vis des politiques atteint des sommets inégalés, les lobbies ne peuvent plus éluder leur part de responsabilité dans la crise : il faut répondre au sentiment d’une connivence néfaste entre les sphères publiques et privées. Les clubs parlementaires commerciaux, déjeuners avec des élus et autres évènements à huis clos devraient être définitivement écartés, sauf à ce qu’ils soient entièrement retransmis en ligne. Les notes de position remises à l’occasion de rendez-vous devraient être rendues publiques, sauf circonstances exceptionnelles relevant du secret des affaires. De même, autant que possible, les parlementaires devraient mieux communiquer sur leurs sources d’inspiration, lorsqu’ils déposent des amendements ; la pratique des amendements « sourcés » répond en partie à cette exigence. Enfin, il faut mettre un terme aux chassés-croisés des hommes entre les entreprises – cabinets de conseils compris – et les autorités publiques : ils réduisent le lobbying au simple maniement d’un carnet d’adresse, démultiplient les conflits d’intérêts cachés et renvois d’ascenseur.  

Une dynamique renouvelée, c’est aussi veiller à ce que toutes les composantes de la société aient accès aux décideurs, pour que les arbitrages de ces derniers ne soient pas biaisés. Or, comme le révèle une étude Politico de mars 2021, les lobbies dits “citoyens” sont dix fois moins représentés lors des échanges à l’Assemblée que les grandes entreprises et leurs associations professionnelles. Cette situation n’est plus tenable. A fortiori dans un monde qui change, car de nombreux petits acteurs, écartés faute d’être jugés suffisamment représentatifs de l’économie d’aujourd’hui, annoncent celle de demain. Parfois entravées par leur faible culture politique ou leurs manques de moyens, ces petites organisations en marge du débat public doivent être accompagnées par des professionnels en pro bono, mieux identifiées par les décideurs et davantage associées.

“Et si des critères liés aux méthodes de lobbying étaient intégrés dans les référentiels de la RSE…”

Le mouvement qu’il serait souhaitable d’engager, on le voit, dépasse de beaucoup les débats technico-juridiques sur le registre de transparence, moyen typiquement français –  c’est-à-dire très administratif – mobilisé pour répondre à un légitime besoin de mieux comprendre et décrypter la fabrique de la loi. Ce mouvement pourrait être encouragé par l’intégration de critères liés aux méthodes de lobbying dans les référentiels de la RSE, évalués par les agences de notation. Enfin, il ne pourra s’engager sans une prise de conscience, par le secteur du lobbying tout entier, de sa responsabilité sociale et politique. En ouvrant grand les yeux sur l’aspiration populaire à des processus démocratiques participatifs et transparents, plus innovants, mieux connectés au bien commun. Il en va de la survie d’une démocratie apaisée.

Gaëtan de Royer
Président de Koz, porte parole de The Good Lobby France.

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